Le plus célèbre des systèmes basés sur les articulations chiffrées est celui de
l’abbé Moigno qui en avait retiré pour lui-même des résultats véritablement
surprenants. Grâce à son procédé, il se flattait de pouvoir retenir toutes les dates
historiques ou autres, les hauteurs de toutes les montagnes du globe et même les
nombres les plus longs et les formules les plus compliquées.
A ce sujet, il a raconté l’anecdote suivante: « Que de fois il m’est arrivé
d’étonner et presque d’agacer François Arago en le forçant accidentellement de
constater ce que j’avais appris par la mnémotechnie ! Je me trouvai plus d’une fois
dans son cabinet de travail au moment où il préparait le dépouillement de la
correspondance de l’Académie des sciences. Quand elle lui apportait par exemple une
nouvelle mesure de l’une des principales montagnes du globe, son premier soin était
de la comparer à la hauteur déjà consignée dans l’Annuaire, et l’Annuaire avait
disparu sous la masse énorme de volumes, brochures, etc., qui encombraient toutes
les tables. Après l’avoir laissé longtemps chercher en vain je me hasardais à lui
demander le nom de la montagne dont il s’agissait. S’il me nommait le mont Rose, le
Vignemale, le Chimborazo, le mont Cervin, l’Himalaya, etc., je lui répondais
aussitôt: 4 638 m, 3 298m, 6 310m, 4 482m, 8 882 m, etc., et il me menaçait, en
riant, de me faire brûler comme un sorcier. Un jour, comme pour prendre sa
revanche, il se vanta de savoir par coeur les seize premiers chiffres du rapport de la
circonférence au diamètre. « Que vous êtes mal tombé, maître, m’écriai-je, si vous
me demandez les dix chiffres successifs à partir du 60e, je vous dirai, 4, 4, 5, 9, 2, 3,
0, 7, 8, 1. Il m’arrête presque courroucé. » Il y avait évidemment de quoi!
Le même auteur fait remarquer « que, dans votre siècle, plus que dans tous
les autres, les données numériques à retenir vont se multipliant sans cesse
indéfiniment et que, sans la mnémotechnie, vous n’en retiendrait qu’un nombre
infiniment petit, tandis qu’avec elle, vous en retiendra un nombre immense ».
L’argument n’est pas sans valeur, avec les codes de cartes bancaires, ces codes
d’accès, les numéros de portables, de compte en banque etc. dont nous avons besoin
quotidiennement et c’est une des raisons pour lesquelles nous estimons que l’on peut
avoir parfois recours aux procédés des articulations chiffrées.
En principe, dans ces systèmes, vous traduisez les chiffres et les nombres, qui
n’ont aucun sens, par autant de mots qui ont un sens et vous introduisez ceux-ci dans
des phrases. Ce travail terminé, il suffit de graver les phrases dans sa mémoire, ce qui
est généralement facile, et, le moment voulu, vous leur donnez leur signification
chiffrée. La table de correspondance suivante, actuellement utilisée par beaucoup de
mnémotechniciens, est inspirée des travaux de l’abbé Moigno.
1 : t ou d.
2 : n (ne) ou gn (gne).
3 : m (me).
4 : r (re).
5 : l ou II mouillés.
6 : j (je) ou ch (che) doux (comme dans chien) ou g (ge) doux (comme dans genou).
7 : q(que) ou ch dur(comme dans cholérique) ou g dur (comme dans gare) ou c dur (comme dans castor) ou k.
8 : f(fe) ou v (ve) ou ph
9 : p ou b
0 : c (ce) doux (comme dans ceci) ou s (se) doux (comme dans selle) ou z (ze) ou t se prononçant s (comme dans motion) ou x se prononçant s (comme dans dix).
On retiendra facilement cette table en faisant les remarques suivantes:
t, représentant 1, n’a qu’un jambage et ressemble au chiffre 1; n, représentant
2, a deux jambages: m, représentant 3, a trois jambages; r, représentant 4, ressemble
à ce chiffre renversé; l, représentant 5, ressemble au 5 que, dans l’écriture cursive,
l’on fait d’un seul trait de plume; j représentant 6, a une boucle en bas comme le
chiffre 6; q ou k ressemblent, comme le chiffre 7, à une sorte de potence; f,
représentant 8, a deux boucles comme le chiffre 8; p, représentant 9, a une boucle à
sa partie supérieure comme le chiffre 9; c, représentant 0, offre une certaine
ressemblance avec ce chiffre.
Pour s’en souvenir, vous pouvez également, avec l’abbé Moigno, utiliser ce
vers (à vrai dire médiocre, mais cela n’a guère d’importance étant donné le but visé)
où les mots commencent successivement par les lettres, d, n, m, r, etc., rangés dans
l’ordre 1, 2, 3, 4, etc.:
Dieu ne me rend la
1 2 3 4 5
joie qu’à vos pieds saints
6 7 8 9 0
La table étant sue imperturbablement, vous substituez les lettres aux chiffres;
puis vous construisez des mots et des phrases. Soit, par exemple, à retenir la hauteur
du Mont-Blanc: 4810 m. Remplaçons chaque chiffre par la consonne correspondante.
Vous obtenons r, v, d, s. Cette première traduction n’a aucun sens et il est aussi et
même plus difficile de se rappeler r, v, d, s, que de se souvenir de 4 810. Mais le
travail ne s’arrête pas là. Les consonnes ne constituent que la trame du mot réel; pour
le créer vous introduit entre celles-ci des voyelles. Toute liberté étant laissée au
mnémotechnicien, vous pouvons former le mot ravaudeuse. Et la phrase à utiliser
pourra être celle-ci: Mon blanc manteau est chez la ravaudeuse (r, v, d, s: 4810) soit
4810 mètres.
Quelques règles doivent être appliquées.
1° Seules, les consonnes sonnantes représentent des chiffres. Ainsi, dans
«consonne», il n’y a que c, s et n qui doivent se traduire en chiffres, ce qui donne 702
et non 7022, le deuxième n ne comptant pas. De même, n et m ayant un son nasal
comme dans en, un, ara, etc., ne comptent pas.
2° Les consonnes non prononcées ne comptent pas. Ainsi, au mot « compte »
correspond 71 et non 731 car m n’est pas prononcé. «Comptoir» fera 714, car le p
n’est pas prononcé.
3° Une consonne qui termine un mot doit être comptée si elle sonne par suite
d’une voyelle commençant le mot suivant. Ainsi «tout » exprime 1 et «tout à » donne
11.
4° Si, dans la plupart des cas, les consonnes redoublées ne comptent pas, il y
a exception lorsqu’elles sont prononcées comme dans « accent » qui se dit « aksent ».
Comment développer votre attention et votre mémoire
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Le système des articulations chiffrées peut être employé pour établir des
formules mnémoniques relatives à la géographie, à histoire, aux mathématiques (par
exemple la détermination d’un certain nombre de décimales de pi qui représente le
rapport de la circonférence à son diamètre et qui est exprimé approximativement par
la fraction 22/7), à la physique et aux diverses mémorisations. En l’occurrence, il
convient de noter que les meilleures formules, ou, plus exactement, les plus
facilement utilisables, sont celles que l’on établit soi-même.
En ce qui concerne l’histoire, vous peut supprimer le 1 du millésime lorsqu’on
sait pertinemment que l’événement se situe après l’an mille. Le mot, qui exprime ce
millésime, se trouve simplifié. C’est ce que vous avons fait à partir du 4e exemple de
la liste suivante.
Bataille de Soissons. Après la bataille de Soissons, Clovis humilié prit sa
revanche (r, v, ch, = 486).
Bataille de Poitiers. Après cette bataille, Charles Martel chassa les Sarrasins
de nos communes (c, m, n, = 732).
Soumission des Lombards et des Saxons à Charlemagne. Des Lombards et
des Saxons, Charlemagne fut le conquérant (c, q, r, = 774).
Bataille de Crc«y. Perdue par Philippe VI, elle permit aux Anglais de
continuer leur marche (m, r, ch, = 346), soit 1346.
Mort de Jeanne d’Arc. Elle mourut à Rouen de brûlures sans remède (r, m, d,
= 431), soit 1431.
Bataille d’lvry. Avec son panache blanc, Henri IV portait la victoire partout
où il passait (l, p, s, = 590) soit 1590.
Prise de Port-Mahon. La prise de Port-Mahon fut annoncée au son des
cloches (c, l, ch, = 756), 1756.
Bataille de Valmy. Valmy couronna une heureuse campagne (c, p, n, = 792),
soit 1792.
Mort de Robespierre. Par un juste retour des choses, Robespierre mourut sous
le couperet (c, p, r, = 794), soit 1794.
Bataille d’Austerlitz. Cette bataille coûta 20 000 fusiliers (f,, s, ll, = 805), soit
1805.
Bataille de Waterloo. Pour l’empereur, elle fut fatale f, t, l, = 815), soit 1815.
Avènement de Louis XVIII. Louis XVIll fut ramené en France par les alliés
dans leurs voitures (v, t, r, = 814), soit 1814.
Comment développer votre attention et votre mémoire
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Avènement de la IIe République. La IIe République eut des adeptes fervents
(f, r, v, = 848 soit 1848.
Avènement de Napoléon III. Napoléon III eut des passions violentes (v, l, t, =
851), soit 1851.
Proclamation de la IIF République. Par la IIIe République, l’Empire fut cassé
définitive-ment (f, c, s, = 870), soit 1870.