Le stoïcisme partie 4

La théorie de la connaissance [modifier]

Les impressions [modifier]

La vérité et la certitude sont dans la perception les plus communes qu’il s’agit de systématiser. Ainsi la connaissance part-elle de la représentation, ou image (phantasia), impression d’un objet réel dans l’âme (comme le cachet dans la cire pour Zénon). C’est là un premier jugement sur les choses auquel peut être ou non donné volontairement un assentiment par l’âme : si celle-ci est dans le vrai, elle a alors une compréhension, ou perception (katalepsis) de l’objet qui est immédiate : une certitude des choses en tant que telles.

La sensation est donc distincte de l’image puisqu’elle est un acte de l’esprit. Pour que la perception soit vraie, l’image doit être fidèle. L’image fidèle, en tant que critère de la vérité, est appelée représentation compréhensive. Elle est passive, mais capable de produire l’assentiment vrai et la perception.

Les critères de la vérité [modifier]

La science sera alors la perception solide et stable, inébranlable par la raison : solidité due à l’appui des certitudes entre elles, à leurs accords rationnels. Ainsi la perception sûre et totale est la science systématique et rationnelle, système de perceptions rassemblées par l’expérience visant à une fin particulière utile à la vie. En dehors de ces réalités sensibles, il n’y a pas d’autres connaissances.

Pourtant, à côté des choses sensibles, il y a ce qu’on peut en dire. Ainsi la dialectique porte-t-elle sur les énoncés qui sont vrais ou faux, relatifs aux choses. Ces énoncés se disent sous la forme d’un sujet et d’un attribut exprimé par un verbe : Socrate se promène. C’est un jugement simple qui exprime un rapport entre des faits, celui-ci s’exprimant par un jugement complexe : s’il fait clair, il fait jour. Il s’agit donc d’une liaison de fait entre un antécédent et un conséquent.

Les critiques [modifier]

Cette section est vide, pas assez détaillée ou incomplète. Votre aide est la bienvenue !

La physique [modifier]

Les principes de la physique stoïcienne [modifier]

Selon Diogène Laërce (VII, 132), les Stoïciens divisent la physique en général en trois domaines : le monde, les éléments, la recherche des causes. Mais l’étude de la nature est aussi divisée selon des lieux spécifiques : les corps ; les principes ; les éléments ; les dieux ; enfin les limites, le lieu et le vide.

Le monde et la nature [modifier]

Le monde est totalement dominé par la raison et a en conséquence à chaque instant la plénitude de sa perfection. Par là on voit que l’activité de la raison est corporelle : seul existe ce qui a la capacité d’agir ou de pâtir (i. e. les corps). Or, la raison agit, donc elle est un corps. Ce qui subit la domination de la raison sera aussi un corps, la matière. Voilà les deux principes de la physique : l’un est la cause unique, l’autre reçoit cette causalité sans faire de résistance. Ces deux corps s’unissent donc et forment le mélange total qui explique l’action d’un souffle matériel (pneuma) traversant la matière pour l’animer.

Les éléments [modifier]

Cette section est vide, pas assez détaillée ou incomplète. Votre aide est la bienvenue !

Le cycle cosmique [modifier]

L’ensemble du monde a un cycle : le feu, ou force active (Zeus), absorbe et réduit en lui-même toutes les choses. Tout recommence ensuite à l’identique, après la fin du monde dans une conflagration où toutes choses sont rentrées dans la substance divine. Cette conflagration est une purification du monde : l’âme du monde absorbe toute la matière en restituant un état parfait par un changement conforme à la nature.

Du feu primitif, naissent les quatre éléments et le monde naît sous l’action d’un souffle divin. Ensuite, par la fragmentation du souffle, naissent les êtres individuels qui forment le système du monde. C’est ce souffle qui fait l’unité du monde, en le parcourant et en maintenant ses parties. Ce souffle est une force, une pensée et une raison qui contient tout et fait que sous l’action de sa tension l’être existe. Ce souffle crée une sympathie entre toutes les parties du monde. Quant à la Terre, elle est au centre, pressée de tout côté par l’air.

La causalité et le destin [modifier]

Tout ce qui arrive est conforme à la nature universelle, puisque tout agit suivant une cause totale, qui lie toutes les causes entre elles.

La théologie [modifier]

La théologie est ce qui rassemble et à la fois divise, stoïciens et épicuriens. Le(s) Dieu(x) existe(nt) chez les Epicuriens tout comme chez les stoïciens. Cependant, selon les épicuriens, les dieux vivent dans leur monde, alors que pour les stoïciens, ils agissent dans notre monde. C’est le fatum, le destin, tout est joué d’avance. On ne peut pas changer ce qui arrive. Cela s’exprime par la métaphore du Chien et du Chariot. Un chien qui tire un chariot est libre d’épouser la trajectoire du chariot ou bien de s’y opposer vainement. Il n’y a que l’assentiment par rapport aux représentations (les évènements) qui dépende de nous, et non des dieux. Ce qui dépend de nous, c’est l’atteinte de l’ataraxie, de l’absence de troubles et passions, une tranquillité de l’âme, une paix intérieure, que les stoiciens assimilent au bonheur véritable. Ainsi la théologie et l’éthique stoïciennes appelle l’Homme à une prise de distance, et à une certaine inactivité, ou tout du moins indifférence, qui sera dénoncé par Spinoza et Hegel : « L’être de l’Homme, c’est son action. » (Phénoménologie de l’Esprit). Ce dernier associa les stoïciens au concept de la belle-âme. C’est l’attitude de Sartre, une conduite d’excuse, de mauvaise foi, pour ne pas affronter l’angoissante condition humaine : la Liberté. Pascal en fera un essai : Entretien avec Madame de Sacy sur Montaigne et Epictète. Ainsi l’ensemble de la philosophie moderne, mis à part Schopenhauer et son concept de Volonté, tend à rejeter cette position stoïcienne.

La psychologie [modifier]

Cette section est vide, pas assez détaillée ou incomplète. Votre aide est la bienvenue !

Principe du plaisir et transfert affectif

Vingt-cinq années de travail intensif ont eu pour conséquence d’assigner à la technique psychanalytique des buts immédiats qui diffèrent totalement de ceux du début. Au début, en effet, toute l’ambition du médecin-analyste devait se borner à mettre au jour ce qui était caché dans l’inconscient du malade et, après avoir établi un cohésion entre tous les éléments inconscients ainsi découverts, à en faire part au malade au moment voulu. La psychanalyse était avant tout un art d’interprétation. Mais, comme cet art était impuissant à résoudre le problème thérapeutique, on recourut à un autre moyen qui consistait à obtenir du malade une confirmation de la construction dégagée par le travail analytique, en le poussant à faire appel à ses souvenirs. Dans ces efforts, on se heurta avant tout aux résistances du malade; l’art consista alors à découvrir ces résistances aussi rapidement que possible et, usant de l’influence purement inter-humaine (de la suggestion agissant en qualité de « transfert »), à le décider à abandonner ces résistances. Plus on avançait cependant dans cette vole, plus on se rendait compte de l’impossibilité d’atteindre pleinement le but qu’on poursuivait et qui consistait à amener à la conscience l’inconscient. Le malade ne peut pas se souvenir de tout ce qui est refoulé; le plus souvent, c’est l’essentiel même qui lui échappe, de sorte qu’il est impossible de le convaincre de l’exactitude de la construction qu’on lui présente. Il est obligé, pour acquérir cette conviction, de revivre dansle présent les événements refoulés, et non de s’en souvenir, ainsi que le veut le médecin, comme faisant partie du passé 1. Ces événements revécus, reproduits avec une fidélité souvent indésirée, se rapportent toujours en partie à la vie sexuelle infantile, et notamment au complexe d’Oedipe et aux faits qui s’y rattachent, et se déroulent toujours dans le domaine du transfert, c’est-à-diredes rapports avec le médecin. Quand on a pu pousser le traitement jusqu’à ce point, on peut dire que la névrose antérieure a fait place à une nouvelle névrose, à une névrose de transfert. Le médecin s’était efforcé de limiter autant que possible le domaine de cette névrose de transfert, de transformer le plus d’éléments possible en simples souvenirs et d’en laisser le moins possible devenir des objets de reproduction, d’être revécus dans le présent. Le rapport qui s’établit ainsi entre la reproduction et le souvenir varie d’un cas à l’autre. D’une façon générale, le médecin ne peut pas épargner au malade cette phase du traitement ; il est obligé de le laisser revivre une partie de sa vie oubliée et doit seulement veiller à ce que le malade conserve un certain degré de sereine supériorité qui lui permette de constater, malgré tout, que la réalité de ce qu’il revit et reproduit n’est qu’apparente et ne fait que refléter un passé oublié. Lorsqu’on réussit dans cette tâche, on finit par obtenir la conviction du malade et le succès thérapeutique dont cette conviction est la première condition. Si l’on veut bien comprendre cette obsession qui se manifeste au cours du traitement psychanalytique et qui pousse le malade à reproduire, à revivre le passé, comme s’il faisait partie du présent, on doit tout d’abord s’affranchir de l’erreur d’après laquelle les résistances qu’on a à combattre proviendraient de l’ « inconscient ». L’inconscient, c’est-à-dire le « refoulé », n’oppose aux efforts du traitement aucune résistance ; il cherche, au contraire, à secouer la pression qu’il subit, à se frayer le chemin vers la conscience ou à se décharger par une action réelle. La résistance qui se manifeste au cours du traitement a pour source les mêmes couches et systèmes supérieurs de la vie psychique que ceux et celles qui, précédemment, avaient déterminé le refoulement. Mais comme l’observation nous montre que les mobiles des résistances, et les résistances elles-mêmes, commencent par être inconscients au cours du traitement, nous sommes obligés d’apporter à notre manière de nous exprimer certaines corrections. Pour éviter toute obscurité et toute équivoque, nous ferons bien notamment de substituer à l’opposition entre le conscient et l’inconscient l’opposition entre le moi cohérent et les éléments refoulés. Il est certain que beaucoup d’éléments du moi sont eux-mêmes inconscients, et ce sont précisément les éléments qu’on peut considérer comme formant le noyau du moi et dont quelques-uns seulement rentrent dans la catégorie de ce que nous appelons le préconscient. Après avoir ainsi substitué à une terminologie purement descriptive une terminologie systématique ou dynamique, nous pouvons dire que la résistance des malades analysés émane de leur moi, et nous voyons aussitôt que la tendance à la reproduction ne peut être inhérente qu’à ce qui est refoulé dans l’inconscient. Il est probable que cette tendance ne peut se manifester qu’après que le travail thérapeutique a réussi à mobiliser les éléments refoulés 1. Il est hors de doute que la résistance opposée par l’inconscient et le préconscient se trouve au service du principe du plaisir, qu’elle est destinée à épargner au malade le déplaisir que pourrait lui causer la mise en liberté de ce qui se trouve chez lui à l’état refoulé. Aussi tous nos efforts doivent-ils tendre à rendre le malade accessible à ce déplaisir, en faisant appel au principe de la

réalité. Mais quels sont les rapports existant entre le principe du plaisir et de la tendance à la reproduction, autrement dit entre le principe du plaisir et la manifestation dynamique des éléments refoulés ? Il est évident que la plus grande partie de ce qui est revécu à la faveur de la tendance à la reproduction ne peut qu’être de nature désagréable ou pénible pour le moi, puisqu’il s’agit somme toute de manifestations de penchants réprimés. Mais c’est là un déplaisir dont nous connaissons déjà la qualité et la valeur, dont nous savons qu’il n’est pas en contradiction avec le principe du plaisir, puisque, déplaisir pour un système, il signifie satisfaction pour l’autre. Mais le fait curieux dont nous avons à nous occuper maintenant consiste en ce que la tendance à la reproduction fait surgir et revivre même des événements passés qui n’impliquent pas la moindre possibilité de plaisir, des événements qui, même dans le passé et même pour les penchants ayant subi depuis lors une répression, ne comportaient pas la moindre satisfaction. L’épanouissement précoce de la vie sexuelle infantile devait avoir une très courte durée, en raison de l’incompatibilité des désirs qu’il comportait avec la réalité et avec le degré de développement insuffisant que présente la vie infantile. Cette crise s’est accomplie dans les circonstances les plus pénibles et était accompagnée de sensations des plus douloureuses. L’amour manqué, les échecs amoureux ont infligé une mortification profonde au sentiment de dignité, ont laissé au sujet une sorte de cicatrice narcissique et constituent, d’après mes propres observations et celles de Marcinowski 2, une des causes les plus puissantes du « sentiment d’infériorité », si fréquent chez les névrotiques. L’exploration sexuelle, à laquelle le développement corporel de l’enfant a mis un terme, ne lui a apporté aucune conclusion satisfaisante ; d’où ses doléances ultérieures : « Je suis incapable d’aboutir à quoi que ce soit, rien ne me réussit. » L’attachement, tout de tendresse, qui le liait le plus souvent au parent du sexe opposé au sien, n’a pas pu résister à la déception, à la vaine attente de satisfaction, à la jalousie causée par la naissance d’un nouvel enfant, cette naissance étant une preuve évidente de l’infidélité de l’aimé ou de l’aimée ; sa propre tentative, tragiquement sérieuse, de donner lui-même naissance à un enfant a échoué piteusement; la diminution de la tendresse dont il jouissait autrefois, les exigences croissantes de l’éducation, les paroles sérieuses qu’il se voyait adresser et les punitions qu’on lui faisait subir à l’occasion ont fini par lui révéler toute l’étendue du dédain qui était désormais son lot. Cet amour typique de l’époque infantile se termine selon un certain nombre de modalités qui reviennent régulièrement.

Or, à la faveur du transfert, le névrotique reproduit et ranime avec beaucoup d’habileté toutes ces circonstances indésirées et toutes ces situations affectives douloureuses. Le malade s’efforce ainsi d’interrompre le traitement inachevé, de se mettre dans une situation qui ranime en lui le sentiment d’être, comme jadis, dédaigné de tout le monde, de s’attirer de la part du médecin des

paroles dures et une attitude froide, de trouver des prétextes de jalousie ; il remplace l’ardent désir d’avoir un enfant, qu’il avait autrefois, par des projets ou des promesses d’importants cadeaux, le plus souvent aussi peu réels que l’objet de son désir de jadis. Cette situation que le malade cherche à reproduire dans le transfert, n’avait rien d’agréable autrefois, alors qu’il s’y est trouvé pour la première fois. Mais, dira-t-on, elle doit être moins désagréable aujourd’hui, en tant qu’objet de souvenirs ou de rêves, qu’elle ne le fut jadis, alors qu’elle imprima à la vie du sujet une orientation nouvelle. Il s’agit naturellement de l’action de penchants et d’instincts dont le sujet s’attendait, à l’époque où il subissait cette action, à retirer du plaisir; mais bien qu’il sache par expérience que cette attente a été trompée, il se comporte comme quelqu’un qui n’a pas su

profiter des leçons du passé : il tend à reproduire cette situation quand même, et malgré tout, il y est poussé par une force obsédante.

 Ce que la psychanalyse découvre par l’étude des phénomènes de transfert chez les névrotiques se retrouve également dans la vie de personnes non névrotiques. Certaines personnes donnent, en effet, l’impression d’être poursuivies par le sort, on dirait qu’il y a quelque chose de démoniaque dans tout ce qui leur arrive, et la psychanalyse a depuis longtemps formulé l’opinion qu’une pareille destinée s’établissait indépendamment des événements extérieurs et se laissait ramener à des influences subies par les sujets au cours de la première enfance. L’obsession qui se manifeste en cette occasion ne diffère guère de celle qui pousse le névrotique à reproduire les événements et la situation affective de son enfance, bien que les personnes dont il s’agit ne présentent pas les signes d’un conflit névrotique ayant abouti à la formation de symptômes. C’est ainsi qu’on connaît des personnes dont toutes les relations avec leurs prochains se terminent de la même façon : tantôt ce sont des bienfaiteurs qui se voient, au bout de quelque temps, abandonnés par ceux qu’ils avaient comblés de bienfaits et qui, loin de leur en être reconnaissants, se montrent pleins de rancune, pleins de noire ingratitude, comme s’ils s’étaient entendus à faire boire à celui à qui ils devaient tant, la coupe d’amertume jusqu’au bout ; tantôt ce sont des hommes dont toutes les amitiés se terminent par la trahison des amis ; d’autres encore passent leur vie à hisser sur un piédestal, soit pour eux-mêmes, soit pour le monde entier, telle ou telle personne pour, aussitôt, renier son autorité, la précipiter de la roche tarpéienne et la remplacer par une nouvelle idole ; on connaît enfin des amoureux dont l’attitude sentimentale à l’égard des femmes traverse toujours les mêmes phases et aboutit toujours au même résultat. Ce « retour éternel du même » ne nous étonne que peu, lorsqu’il s’agit d’une attitude active et lorsqu’ayant découvert le trait de caractère permanent, l’essence même de la personne intéressée, nous nous disons que ce trait de caractère, cette essence ne peut se manifester que par la répétition des mêmes expériences psychiques. Mais nous sommes davantage frappés en présences d’événements qui se reproduisent et se répètent dans la vie d’une personne, alors que celle-ci se comporte passivement à l’égard de ce qui lui arrive, sans y intervenir d’une façon quelconque. On songe, par exemple, à l’histoire de cette femme qui avait été trois fois mariée et qui avait perdu successivement chacun de ses maris peu de temps après le mariage, ayant juste eu le temps de lui prodiguer les soins nécessaires et de lui fermer les yeux 1. Dans son poème romantique La Jérusalem délivrée, le Tasse nous donne une saisissante description poétique d’une pareille destinée. Le héros Tancrède tue, sans s’en douter, sa bien-aimée Clorinde, alors qu’elle combattait contre lui sous l’armure d’un chevalier ennemi. Après les funérailles de Clorinde, il pénètre dans la mystérieuse forêt enchantée, objet de frayeur pour l’armée des croisés. Là il coupe en deux, avec son épée, un grand arbre, mais voit de la blessure faite à l’arbre jaillir du sang et, en même temps, il entend la voix de Clorinde, dont l’âme s’était réfugiée dans cet arbre, se plaindre du mal que l’aimé lui a infligé de nouveau. En présence de ces faits empruntés aussi bien à la manière dont les névrotiques se comportent au cours du transfert qu’aux destinées d’un grand nombre de sujets normaux, on ne peut s’empêcher d’admettre qu’il existe dans la vie psychique une tendance irrésistible à la reproduction, à la répétition, tendance qui s’affirme sans tenir compte du principe du plaisir, en se mettant au-dessusde lui. Et ceci admis, rien ne s’oppose à ce qu’on attribue à la pression exercée par cette tendance aussi bien les rêves du sujet atteint de névrose traumatique et la manie que la répétition qui se manifeste dans les jeux des enfants. Il est certain toutefois que rares sont les cas où l’action de la tendance à la répétition se manifeste toute seule, dans toute sa pureté, sans l’intervention d’autresmobiles. En ce qui concerne les jeux des enfants, nous savons déjà quelles en sont les autres interprétations possibles. La tendance à la répétition et la recherche du plaisir par la satisfaction directe de certains penchants semblent s’unir d’une ici façon assez intime, pour former un tout dans lequel il est difficile de discerner la part de l’une et de l’autre. Les phénomènes du transfertsont manifestement l’expression de la résistance opposée par le moi, qui s’efforce de ne pas livrer les éléments refoulés ; et quant à la tendance à la répétition que le traitement cherche à utiliser en vue des fins qu’il poursuit, on dirait que c’est encore le moi qui, dans ses efforts pour se conformer au principe du plaisir, cherche à l’attirer de son côté. Ce qu’on pourrait appeler la

fatalité, au sens courant du mot, et que nous connaissons déjà par les quelques exemples cités plus haut, se prête en grande partie à une explication rationnelle, ce qui nous dispense d’admettre l’intervention d’un nouveau mobile, plus ou moins mystérieux. Le cas le moins contestable est peut-être celui des rêves reproduisant l’accident traumatique ; mais en y réfléchissant de près, on

est obligé d’admettre qu’il existe encore pas mal d’autres cas qu’il est impossible d’expliquer par l’action des seuls mobiles que nous connaissons. Ces cas présentent un grand nombre de particularités qui autorisent à admettre l’intervention de la tendance à la répétition, laquelle apparaît plus primitive, plus élémentaire, plus impulsive que le principe du plaisir qu’elle arrive souvent à éclipser. Or, si une pareille tendance à la répétition existe vraiment dans la vie

psychique, nous serions curieux de savoir à quelle fonction elle correspond, dans quelles conditions elle peut se manifester, quels sont exactement les rapports qu’elle affecte avec le principe du plaisir auquel nous avons accordé jusqu’à présent un rôle prédominant dans la succession des processus d’excitation dont se compose la vie psychique.   

Principe du plaisir et névrose traumatique – Principe du plaisir et jeux d’enfant

A la suite de graves commotions mécaniques, de catastrophes de chemin de fer et d’autres accidents impliquant un danger pour la vie, on voit survenir un état qui a été décrit depuis longtemps sous le nom de « névrose traumatique ». La guerre terrible, qui vient de prendre fin, a engendré un grand nombre d’affections de ce genre et a, tout au moins, montré l’inanité des tentatives consistant à rattacher ces affections à des lésions organiques du système nerveux, qui seraient elles-mêmes consécutives à des violences mécaniques. Le tableau de la névrose traumatique se rapproche de celui de l’hystérie par sa richesse en symptômes moteurs, ruais s’en distingue énéralement par les signes très nets de souffrance subjective, comme dans les cas de mélancolie ou d’hypochondrie, et par un affaiblissement et une désorganisation très prononcés de presque toutes les fonctions psychiques. Jusqu’à ce jour, on n’a pas réussi à se faire une notion bien exacte, tant des névroses de guerre que des

névroses traumatiques du temps de paix. Ce qui, dans les névroses de guerre, semblait à la fois éclaircir et embrouiller la situation, c’était le fait que le même tableau morbide pouvait, à l’occasion, se produire en dehors de toute violence mécanique brutale. Quant à la névrose traumatique commune, elle offre deux traits susceptibles de nous servir de guides, à savoir que la surprise, la frayeur semblent jouer un rôle de premier ordre dans le déterminisme de cette névrose et que celle-ci paraît incompatible avec l’existence simultanée d’une lésion ou d’une blessure. On considère généralement les mots frayeur, peur, angoisse comme des synonymes. En quoi on a tort, car rien n’est plus facile que de les différencier, lorsqu’on les considère dans leurs rapports avec un danger. L’angoisse est un état qu’on peut caractériser comme un état d’attente de danger, de préparation au danger, connu ou inconnu ; la peur suppose un objet déterminé en présence duquel on éprouve ce sentiment; quant à la frayeur, elle représente un état que provoque un danger actuel, auquel on n’était pas préparé : ce qui la caractérise principalement, c’est la surprise. Je ne

crois pas que l’angoisse soit susceptible de provoquer une névrose traumatique; il y a dans l’angoisse quelque chose qui protège contre la frayeur et contre la névrose qu’elle provoque. Mais c’est là un point sur lequel nous aurions encore à revenir.

L’étude du rêve peut être considérée comme le moyen d’exploration le plus sûr des processus psychiques profonds. Or, les rêves des malades atteints de névrose traumatique sont caractérisés par le fait que le sujet se trouve constamment ramené à la situation constituée par l’accident et se réveille chaque fois avec une nouvelle frayeur. On ne s’étonne pas assez de ce fait. On y voit une preuve de l’intensité de l’impression produite par l’accident traumatique, cette impression, dit-on, ayant été tellement forte qu’elle revient au malade même pendant le sommeil. Il y aurait, pour ainsi dire, fixation psychique du malade au traumatisme. Or, ces fixations à l’événement traumatique qui a provoqué la maladie nous sont connues depuis longtemps, en ce qui concerne l’hystérie. Breuer et Freud ont formulé dès 1893 cette proposition : « les hystériques souffrent principalement de réminiscences ». Et dans les névroses de guerre, des observateurs comme Ferenczi et Simmel ont cru pouvoir expliquer certains symptômes moteurs par la fixation au traumatisme.

 

Or, je ne sache pas que les malades atteints de névrose traumatique soient beaucoup préoccupés dans leur vie éveillée par le souvenir de leur accident. Ils s’efforcent plutôt de ne pas y penser. En admettant comme une chose allant de soi que le rêve nocturne les replace dans la situation génératrice de la maladie, on méconnaît la nature du rêve. Il serait plus conforme à cette nature que les rêves de ces malades se composent de tableaux remontant à l’époque où ils étaient bien portants ou se rattachant à leur espoir de guérison. Si, malgré la qualité des rêves qui accompagnent la névrose traumatique, nous voulons maintenir, comme seule correspondant à la réalité des faits, la conception d’après laquelle la tendance prédominante des rêves serait celle qui a pour objet la réalisation de désirs, il ne nous reste qu’à admettre que dans cet état la fonction du rêve a subi, comme beaucoup d’autres fonctions, une grave perturbation, qu’elle a été détournée de son but; ou bien nous devrions appeler à la rescousse les mystérieuses tendances masochistes.

Je propose donc de laisser de côté l’obscure et nébuleuse question de la névrose traumatique et d’étudier la manière dont travaille l’appareil psychique, en s’acquittant d’une de ses tâches normales et précoces : il s’agit des jeux des enfants.

Les différentes théories relatives aux jeux des enfants ont été récemment exposées et examinées au point de vue analytique par S. Pfeifer dans Imago (V, 4), et je ne puis que renvoyer les lecteurs à ce travail. Ces théories s’efforcent de découvrir les mobiles qui président aux jeux des enfants, sans mettre au premier plan le point de vue économique, de considération en rapport avec la recherche du plaisir. Sans m’attacher à embrasser l’ensemble de tous ces phénomènes, j’ai profité d’une occasion qui s’était offerte à moi, pour étudier les démarches d’un garçon âgé de 18 mois, au cours de son premier jeu, qui était de sa propre invention. Il s’agit là de quelque chose de plus qu’une rapide observation, car j’ai, pendant plusieurs semaines, vécu sous le même toit que cet enfant et ses parents, et il s’est passé pas mal de temps avant que j’eusse deviné le sens de ses démarches mystérieuses et sans cesse répétées.

L’enfant ne présentait aucune précocité au point de vue intellectuel ; âgé de 18 mois, il ne prononçait que quelques rares paroles compréhensibles et émettait un certain nombre de sons significatifs que son entourage comprenait parfaitement; ses rapports avec les parents et la seule domestique de la maison étaient excellents, et tout le monde louait son « gentil » caractère. Il ne dérangeait pas ses parents la nuit, obéissait consciencieusement à l’interdiction de toucher à certains objets ou d’entrer dans certaines pièces et, surtout, il ne pleurait jamais pendant les absences de sa mère, absences qui duraient parfois des heures, bien qu’il lui fût très attaché, parce qu’elle l’a non seulement nourri au sein, mais l’a élevé et soigné seule, sans aucune aide étrangère. Cet excellent enfant avait cependant l’habitude d’envoyer tous les petits objets qui lui tombaient sous la main dans le coin d’une pièce, sous un lit, etc., et ce n’était pas un travail facile que de rechercher ensuite et de réunir tout cet attirail du jeu. En jetant loin de lui les objets, il prononçait, avec un air d’intérêt et de satisfaction, le son prolongé o-o-o-o qui, d’après les jugements concordants de la mère et de l’observateur, n’était nullement une interjection, mais signifiait le mot « Fort» (loin). Je me suis finalement aperçu que c’était là un jeu et que l’enfant n’utilisait ses jouets que pour « les jeter au loin ». Un jour je fis une observation qui confirma ma manière de voir. L’enfant avait une bobine de bois, entourée d’une ficelle. Pas une seule fois l’idée ne lui était venue de traîner cette bobine derrière lui, c’est-à-dire de jouer avec elle à la voiture ; mais tout en maintenant le fil, il lançait la bobine avec beaucoup d’adresse pardessus le bord de son lit entouré d’un rideau, où elle disparaissait. Il prononçait alors son invariable o-o-o-o, retirait la bobine du lit et la saluait cette fois par un joyeux « Da ! » (« Voilà ! »). Tel était le jeu complet, comportant une disparition et une réapparition, mais dont on ne voyait généralement que le premier acte, lequel était répété inlassablement, bien qu’il fût évident que c’est le deuxième acte qui procurait à l’enfant le plus de plaisir.

L’interprétation du jeu fut alors facile. Le grand effort que l’enfant s’imposait avait la signification d’un renoncement à un penchant (à la satisfaction d’un penchant) et lui permettait de supporter sans protestation le départ et l’absence de la mère. L’enfant se dédommageait pour ainsi dire de ce départ et de cette absence, en reproduisant, avec les objets qu’il avait sous la main, la scène de la disparition et de la réapparition. La valeur affective de ce jeu est naturellement indépendante du fait de savoir si l’enfant l’a inventé lui-même ou s’il lui a été suggéré par quelqu’un ou quelque chose. Ce qui nous intéresse, c’est un autre point. Il est certain que le départ de la mère n’était pas pour l’enfant un fait agréable ou, même, indifférent. Comment alors concilier avec le principe du plaisir le fait qu’en jouant il reproduisait cet événement pour lui pénible? On dirait peut-être que si l’enfant transformait en un jeu le départ, c’était parce que celui-ci précédait toujours et nécessairement le joyeux retour qui devait être le véritable objet du jeu ? Mais cette explication ne s’accorde guère avec l’observation, car le premier acte, le départ, formait un jeu indépendant et que l’enfant reproduisait cette scène beaucoup plus souvent que celle du retour, et en dehors d’elle.

L’analyse d’un cas de ce genre ne fournit guère les éléments d’un conclusion décisive. Une observation exempte de parti-pris laisse l’impression que si l’enfant a fait de l’événement qui nous intéresse l’objet d’un jeu, ç’a été pour d’autres raisons. Il se trouvait devant cet événement dans une attitude passive, le subissait pour ainsi dire ; et voilà qu’il assume un rôle actif, en le reproduisant sous la forme d’un jeu, malgré son caractère désagréable. On pourrait dire que l’enfant cherchait ainsi à satisfaire un penchant à la domination, lequel aurait tendu à s’affirmer indépendamment du caractère agréable ou désagréable du souvenir. Mais on peut encore essayer une autre interprétation. Le fait de rejeter un objet, de façon à le faire disparaître, pouvait servir à la satisfaction d’une impulsion de vengeance à l’égard de la mère et signifier à peu près ceci : « Oui, oui, va-t’en, je n’ai pas besoin de toi; je te renvoie moi-même. » Le même enfant, dont j’ai observé le premier jeu, alors qu’il était âgé de 18 mois, avait l’habitude, à l’âge de deux ans et demi, de jeter par terre un jouet dont il était mécontent, en disant : « Va-t’en à la guerre ! » On lui avait raconté alors que le père était absent, parce qu’il était à la guerre; il ne manifestait d’ailleurs pas le moindre désir de voir le père, mais montrait, par des indices dont la signification était évidente, qu’il n’entendait pas être troublé dans la possession unique de la mère. Nous savons d’ailleurs que les enfants expriment souvent des impulsions hostiles analogues en rejetant des objets qui, à leurs yeux, symbolisent certaines personnes. Il est donc permis de se demander si la tendance à s’assimiler psychiquement un événement impressionnant, à s’en rendre complètement maître peut se manifester par elle-même et indépendamment du principe du plaisir. Si, dans le cas dont nous nous occupons, l’enfant reproduisait dans le jeu une impression pénible, c’était peut-être parce qu’il voyait dans cette reproduction, source de plaisir indirecte, le moyen d’obtenir un autre plaisir, mais plus direct.

De quelque manière que nous étudiions les jeux des enfants, nous n’obtenons aucune donnée certaine qui nous permette de nous décider entre ces deux manières de voir. On voit les enfants reproduire dans leurs jeux tout ce qui les a impressionnés dans la vie, par une sorte d’ab-réaction contre l’intensité de l’impression dont ils cherchent pour ainsi dire à se rendre maîtres. Mais il est, d’autre part, assez évident que tous leurs jeux sont conditionnés par un désir qui, à leur âge, joue un rôle prédominant : le désir d’être grands et de pouvoir se comporter comme les grands. On constate également que le caractère désagréable d’un événement n’est pas incompatible avec sa transformation en un objet de jeu, avec sa reproduction scénique. Que le médecin ait examiné la gorge de l’enfant ou ait fait subir à celui-ci une petite opération : ce sont là des souvenirs pénibles que l’enfant ne manquera cependant pas d’évoquer dans son prochain jeu ; mais on voit fort bien quel plaisir peut se mêler à cette reproduction et de quelle source il peut provenir : en substituant l’activité du jeu à la passivité avec laquelle il avait subi l’événement pénible, il inflige à un camarade de jeu les souffrances dont il avait été victime lui-même et exerce ainsi sur la personne de celui-ci la vengeance qu’il ne peut exercer sur la personne du médecin.

 

Quoi qu’il en soit, il ressort de ces considérations qu’expliquer le jeu par un instinct d’imitation, c’est formuler une hypothèse inutile. Ajoutons encore qu’à la différence de se qui se passe dans les jeux des enfants, le jeu et l’imitation artistiques auxquels se livrent les adultes visent directement la personne du spectateur en cherchant à lui communiquer, comme dans la tragédie, des impressions souvent douloureuses qui sont cependant une source de jouissances élevées. Nous constatons ainsi que, malgré la domination du principe du plaisir, le côté pénible et désagréable des événements trouve encore des voies et moyens suffisants pour s’imposer au souvenir et devenir un objet d’élaboration psychique. Ces cas et situations, susceptibles d’avoir pour résultat final un accroissement de plaisir, sont de nature à former l’objet d’étude d’une esthétique guidée par le point de vue économique; mais étant donné le but que nous poursuivons, ils ne présentent pour nous aucun intérêt, car ils présupposent l’existence et la prédominance du plaisir et ne nous apprennent rien sur les manifestations possibles de tendances situées au-delà de ce principe, c’est-à-dire de tendances indépendantes de lui et, peut-être, plus primitives que lui.

Le principe du plaisir

La théorie psychanalytique admet sans réserves que l’évolution des processus psychiques est régie par le principe du plaisir. Autrement dit, nous croyons, en tant que psychanalystes, qu’elle est déclenchée chaque fois par une tension désagréable ou pénible et qu’elle s’effectue de façon à aboutir à une diminution de cette tension, c’est-à-dire à la substitution d’un état agréable à un état pénible.

Cela équivaut à dire que nous introduisons, dans la considération des processus psychiques que nous étudions, le point de vue économique, et nous pensons qu’une description qui tient compte, en même temps que du côté topique et dynamique des processus psychiques, du facteur économique, représente la description la plus complète à laquelle nous puissions prétendre actuellement et mérite d’être qualifiée de métapsychologique.

Peu nous importe de savoir si, en établissant le principe du plaisir, nous nous rapprochons de tel ou tel système philosophique déterminé, consacré par l’histoire. C’est en cherchant à décrire et à expliquer les faits de notre observation journalière que nous en arrivons à formuler de pareilles hypothèses spéculatives.

Nous ne visons, dans notre travail psychanalytique, ni à la priorité ni à l’originalité et, d’autre part, les raisons qui nous incitent à poser le principe en question sont tellement évidentes qu’il n’est guère possible de ne pas les apercevoir. Nous dirons cependant que nous ne marchanderions pas notre gratitude à toute théorie philosophique ou psychologique qui saurait nous dire ce que signifient exactement les sensations de plaisir et de déplaisir qui exercent sur nous une action si impérative.

Il s’agit là de la région la plus obscure et la plus inaccessible de la vie psychique et, comme nous ne pouvons pas nous soustraire à son appel, nous pensons que ce que nous pouvons faire de mieux, c’est de formuler à son sujet une hypothèse aussi vague et générale que possible. Aussi nous sommes-nous décidés à établir entre le plaisir et le déplaisir, d’une part, la quantité d’énergie (non liée) que comporte la vie psychique, d’autre part, certains rapports, en admettant que le déplaisir correspond à une augmentation, le plaisir à une diminution de cette quantité d’énergie.

Ces rapports, nous ne les concevons pas sous la forme d’une simple corrélation entre l’intensité des sensations et les modifications auxquelles on les rattache, et encore moins pensons-nous (car toutes nos expériences de psycho-physiologie s’y opposent) à la proportionnalité directe ; il est probable que ce qui constitue le facteur décisif de la sensation, c’est le degré de diminution ou d’augmentation de la quantité d’énergie dans une fraction de temps donnée. Sous ce rapport, l’expérience pourrait nous fournir des données utiles, mais le psychanalyste doit se garder de se risquer dans ces problèmes, tant qu’il n’aura pas à sa disposition des observations certaines et définies, susceptibles de le guider.

Nous ne pouvons cependant pas demeurer indifférents devant le fait qu’un savant aussi pénétrant que G. Th. Fechner concevait le plaisir et le déplaisir d’une manière qui, dans ses traits essentiels, se rapproche de celle qui se dégage de nos recherches psychanalytiques. Dans son opuscule : Einige Ideen zur Schöpfungs- und Entwicklungsgeschichte der Organismen (1873, Section XI, appendice, p. 94) il a formulé sa conception de la manière suivante : « Étant donné que les impulsions conscientes sont toujours accompagnées de plaisir ou de déplaisir, nous pouvons fort bien admettre qu’il existe également des rapports psycho-physiques entre le plaisir et le déplaisir, d’une part, et des états de stabilité et d’instabilité, d’autre part, et nous prévaloir de ces rapports en faveur de l’hypothèse que nous développerons ailleurs, à savoir que tout mouvement psychophysique dépassant le seuil de la conscience est accompagné de plaisir pour autant qu’il se rapproche de la stabilité complète, au-delà d’une certaine limite, et est accompagné de déplaisir pour autant qu’il se rapproche de l’instabilité complète, toujours au-delà d’une certaine limite, une certaine zone d’indifférence esthésique existant entre les deux limites, qui peuvent être considérées comme les seuls qualificatifs du plaisir et du déplaisir… »

Les faits qui nous font assigner au principe du plaisir un rôle dominant dans la vie psychique trouvent leur expression dans l’hypothèse d’après laquelle l’appareil psychique aurait une tendance à maintenir à un étiage aussi bas que possible ou, tout au moins, à un niveau aussi constant que possible la quantité d’excitation qu’il contient. C’est le principe du plaisir formulé dans des termes un peu différents, car, si l’appareil psychique cherche à maintenir sa quantité d’excitation à un niveau aussi bas que possible, il en résulte que tout ce qui est susceptible d’augmenter cette quantité ne peut être éprouvé que comme anti-fonctionnel, c’est-à-dire comme une sensation désagréable.

Le principe du plaisir se laisse ainsi déduire du principe de la constance ; en réalité, le principe de la constance lui-même nous a été révélé par les faits mêmes qui nous ont imposé le principe du plaisir. La discussion ultérieure nous montrera que la tendance de l’appareil psychique, dont il s’agit ici, représente un cas spécial du principe de Fechner, c’est-à-dire de la tendance à la stabilité à laquelle il rattache les sensations de plaisir et de déplaisir.

Mais est-il bien exact de parler du rôle prédominant du principe du plaisir dans l’évolution des processus psychiques? S’il en était ainsi, l’énorme majorité de nos processus psychiques devraient être accompagnés de plaisir ou conduire au plaisir, alors que la plupart de nos expériences sont en contradiction flagrante avec cette conclusion. Aussi sommes-nous obligés d’admettre qu’une forte tendance à se conformer au principe du plaisir est inhérente à l’âme, mais que certaines forces et circonstances s’opposent à cette tendance, si bien que le résultat final peut bien n’être pas toujours conforme au principe du plaisir.

Voici ce que dit à ce propos Fechner 1 : « Mais la tendance au but ne signifie pas toujours la réalisation du but, cette réalisation ne pouvant, en général, s’opérer que par des approximations. » En abordant la question de savoir quelles sont les circonstances susceptibles d’empêcher la réalisation du principe du plaisir, nous nous retrouvons sur un terrain sûr et connu et pouvons faire un large appel à nos expériences psychanalytiques.

Le premier obstacle auquel se heurte le principe du plaisir nous est connu depuis longtemps comme un obstacle pour ainsi dire normal et régulier. Nous savons notamment que notre appareil psychique cherche tout naturellement, et en vertu de sa constitution même, à se conformer au principe du plaisir, mais qu’en présence des difficultés ayant leur source dans le monde extérieur, son affirmation pure et simple, et en toutes circonstances, se révèle comme impossible, comme dangereuse même pour la conservation de l’organisme.

Sous l’influence de l’instinct de conservation du moi, le principe du plaisir s’efface et cède la place au principe de la réalité qui fait que, sans renoncer au but final que constitue le plaisir, nous consentons à en différer la réalisation, à ne pas profiter de certaines possibilités qui s’offrent à nous de hâter celle-ci, à supporter même, à la faveur du long détour que nous empruntons pour arriver au plaisir, un déplaisir momentané.

Les impulsions sexuelles cependant, plus difficilement « éducables », continuent encore pendant longtemps à se conformer uniquement au principe du plaisir, et il arrive souvent que celui-ci, se manifestant d’une façon exclusive soit dans la vie sexuelle, soit dans le moi lui-même, finit par l’emporter totalement sur le principe de la réalité, et cela pour le plus grand dommage de l’organisme tout entier.

Il est cependant incontestable que la substitution du principe de la réalité au principe du plaisir n’explique qu’une petite partie de nos sensations pénibles et seulement les sensations les moins intenses. Une autre source, non moins régulière, de sensations désagréables et pénibles est représentée par les conflits et les divisions qui se produisent dans la vie psychique, à l’époque où le moi accomplit son évolution vers des organisations plus élevées et plus cohérentes. On peut dire que presque toute l’énergie dont dispose l’appareil psychique provient des impulsions qui lui sont congénitalement inhérentes, mais il n’est pas donné à toutes ces impulsions d’atteindre le même degré d’évolution. Il se trouve, au cours de celle-ci, que certaines impulsions ou certains côtés de certaines impulsions se montrent incompatibles, quant à leurs fins et à leurs tendances, avec les autres, c’est-à-dire avec celles dont la réunion, la synthèse doit former la personnalité complète, achevée.

À la faveur du refoulement, ces tendances se trouvent éliminées de l’ensemble, ne sont pas admises à participer à la synthèse, sont maintenues à des niveaux inférieurs de l’évolution psychique, se voient tout d’abord refuser toute possibilité de satisfaction. Mais elles réussissent quelquefois (et c’est le plus souvent le cas des impulsions sexuelles refoulées) à obtenir malgré tout une satisfaction, soit directe, soit substitutive : il arrive alors que cette éventualité qui, dans d’autres circonstances, serait une source de plaisir, devient pour l’organisme une source de déplaisirs.

A la suite de l’ancien conflit qui avait abouti au refoulement, le principe du plaisir cherche à s’affirmer de nouveau par des voies détournées, pendant que certaines impulsions s’efforcent précisément à le faire triompher à leur profit, en attirant vers elles la plus grande somme de plaisir possible. Les détails du processus à la faveur duquel le refoulement transforme une possibilité de plaisir en une source de déplaisir ne sont pas encore bien compris ou ne se laissent pas encore décrire avec une clarté suffisante, mais il est certain que toute sensation de déplaisir, de nature névrotique, n’est au fond qu’un plaisir qui n’est pas éprouvé comme tel.

Nous sommes loin d’avoir épuisé toutes les sources de la plupart de nos expériences psychiques désagréables ou pénibles, mais s’il en existe d’autres, nous pouvons, non sans quelque apparence de raison, admettre que leur existence n’infirme en rien la prédominance du principe du plaisir. La plupart des sensations pénibles que nous éprouvons sont occasionnées, en effet, soit par la pression exercée par des impulsions insatisfaites, soit par des facteurs extérieurs, qui tantôt éveillent en nous des sensations désagréables en soi, tantôt font surgir dans notre appareil psychique des attentes pénibles, une sensation de « danger ».

La réaction à cette pression des impulsions insatisfaites et à ces menaces de danger, réaction par laquelle s’exprime l’activité propre de l’appareil psychique, peut fort bien s’effectuer sous l’influence du principe du plaisir, soit tel quel, soit modifié par le principe de la réalité. Il ne semble donc pas nécessaire d’admettre une nouvelle limitation du principe du plaisir, et cependant l’examen des réactions psychiques au danger extérieur est de nature à nous fournir de nouveaux matériaux et de nous révéler de nouvelles manières de poser des questions, en rapport avec le problème qui nous intéresse.